cet article est paru antérieurement sur le facebook de l’association

Il avait endossé quelques rôles dans des films dédaignés des spectateurs, sans enthousiasmer non plus les critiques. Mais de ce cinéma-là émergeaient des noms associés à des oeuvres qui s’écartent des chemins convenus, un cinéma qui s’interroge, qui invente… Roger Planchon, Agnieszka Holland, Brigitte Roüan, Jean-Louis Trintignant, Jacques Fansten, Christine Boisson…

De quoi éveiller doucement l’attention, créer une alerte dans un coin de la tête.

Il a ensuite fait une apparition dans La reine Margot, du médiatique Patrice Chéreau (tiens, de nouveau un homme de théâtre), a tourné avec un réalisateur macédonien beaucoup moins médiatique.

Des choix intrigants, des relations très respectables.

Puis Grégoire Colin a rencontré Claire Denis. Cela a débuté par US Go home, où il côtoyait Vincent Gallo -un acteur sans banalité. Après, il y aurait un des courts-métrages de A propos de Nice, la suite; Nénette et Boni; Beau travail; Vendredi soir; L’intrus, 35 rhums, Les salauds; Avec amour et acharnement… un vrai compagnonnage, qu’on imagine basé sur un respect et une estime mutuels, et peut-être le même désir d’explorer des contrées inconnues.

Mon intérêt pour cet acteur s’est encore accru lorsque, dans La vie rêvé des anges, le grand succès d’Eric Zonka (1998), je l’ai découvert dans une interprétation saisissante du mâle toxique.

Depuis, je l’ai vu revêtir magnifiquement les habits de personnages tourmentés, bourrés de contradictions; rendre (presque) sympathiques des mecs pas fréquentables dont il laissait entrevoir l’âme; devenir totalement opaque… Je l’ai vu aussi, il est vrai, jouer moyennement des rôles moyens, et même, parfois, être mauvais. Allez savoir pourquoi. 

Mais j’ai toujours envie d’aller voir un film, même très mal jugé par les critiques, lorsque Grégoire Colin y participe. Envie de découvrir ce qu’il va faire, cette fois. A quel point il va s’engager -ou non- dans le film, à quel point il va enrichir le personnage, quelle quantité de ce truc insaisissable qui fait un comédien il a choisi d’introduire dans le film… Comment il va utiliser son visage mal équilibré, sa beauté imparfaite, sa voix douce, pour nous faire faire un pas de côté.

Grégoire Colin ne construit pas ce qu’on appelle une grande carrière, il a souvent endossé des seconds rôles, on ne lui fait sans doute pas des ponts d’or. Il s’est essayé au film d’action (Snowboarder, Olias Barco, 2003), cela ne l’a pas convaincu. Il continue de préférer tourner avec des réalisateurs dont la curiosité est la marque de fabrique : Claire Denis donc, Jacques Rivette, Yolande Zauberman, Alice Winocour, Catherine Breillat… et dit également « oui » à de parfaits inconnus. Il peut devenir, sur l’écran, un parfait salaud, un type très inquiétant, ou un doux rêveur. Quoi qu’il joue, il reste mystérieux.

Récemment, dans le film d’Héléna Klotz, la Vénus d’Argent, il apparaît soudain, père de famille sans histoires, aux répliques banales. Je me dis « oui, bien sûr, un père de jeune adulte comme un autre, tout à fait plausible», pourtant je reste dans le regret qu’il ne lui ait pas été accordé plus. La possibilité de nous entraîner ailleurs.

Grégoire Colin s’est beaucoup intéressé à la musique, ainsi qu’à la réalisation (il est l’auteur de deux courts-métrages), mais finalement s’est consacré à l’art de la comédie. D’après les (très rares) interviews que j’ai pu lire, ne pas être en haut de la pyramide ne semble pas vraiment le préoccuper.

Quand même… réalisatrices, réalisateurs, réveillez-vous, offrez de vrais et beaux rôles à cet acteur singulier !

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