cet article est paru antérieurement sur le facebook de l’association

Emmanuelle Devos n’a pas un visage commun : intensité des yeux, classicisme de la structure osseuse et des cheveux, souvent coiffés souplement… mais la bouche, qui dénonce toutes ces tentatives de sembler d’une beauté répertoriée. La bouche qui s’échappe, mène sa propre vie et raconte une personnalité bien plus complexe.

Emmanuelle Devos n’est pas une comédienne banale. Mettez-la dans la peau de Madame Toutlemonde, et il y a fort à parier qu’à un moment, vous vous questionnerez : se moque-t-elle de son personnage, lui donne-t-elle trop de mystère, sait-elle quelque chose que vous ignorez ? Ce qui s’est passé, vous ne parvenez pas bien à l’isoler, encore moins à le définir, mais soudain vous ne voyez plus le film de la même manière.

Emmanuelle Devos mène deux carrières de front : sur les planches, et sur l’écran. On raconte qu’introduite auprès de Jeanne Moreau – comédienne à part s’il en est- alors qu’elle réalisait son film Lumière par des parents eux-mêmes dans le sérail, la jeune Emmanuelle décide tout de go de faire l’actrice. Elle s’inscrit au cours Florent, mais va également explorer d’autres domaines : la danse, le cirque… Elle patiente, est ouvreuse de cinéma, obtient difficilement de petits rôles au théâtre, au cinéma… Des rencontres (Francis Huster, Noémie Lvovsky…) la place sur de bons rails :… C’était un peu long, mais à 28 ans la voici lancée.

Sur sa rencontre avec Noémie Lvosky elle commente, dans un entretien au Monde (27 mars 2022): « Et là, Noémie arrive et me gonfle comme une chambre à air. Je fais son court-métrage. Comme elle s’occupait du casting de La Vie des morts, le premier film d’Arnaud Desplechin, je me retrouve sur le film. Et je tombe dans une bande de jeunes de mon âge qui se lançaient dans le cinéma : Eric Rochant, Sophie Fillières, Pascal Caucheteux… Tout ça, c’est grâce à Noémie. »

11 rôles dans les années 90; 29 dans les années 2000; 18 la décennie suivante; 9 depuis 2020.

Mais aussi une présence régulière dans des courts et moyens métrages, des séries télévisées et des téléfilms.

Manifestement, au sein du cinéma français, Emmanuelle Devos fait partie des actrices « bankables », dont le nom peut arracher un oui au moment du financement. On peut préférer voir, avec des yeux de spectateur-trice, qu’un.e réalisateur.trice peut en toute confiance bâtir un film sur son jeu, qui réservera toujours de bonnes surprises.

Emmanuelle Devos a beaucoup tourné avec Arnaud Desplechin et Noémie Lvosky, mais le plus remarquable est qu’elle ait inspiré une époustouflante variété de créateurs/trices, des personnalités aussi diverses que Jacques Audiard, Xavier Gianolli, Marco Bellochio, Claire Simon… Apportant à chacun.e, sans doute, le supplément d’âme, la singularité, la profondeur de jeu, recherchés.

Parmi tous les rôles endossés, je retiens personnellement l’entreprenante sourde-muette de Sur mes lèvres (Jacques Audiard, 2001), la bouleversante Nora de Rois et reine (Arnaud Desplechin, 2004), l’insondable Juliette de La vie domestique (Isabelle Czajka, 2013), la tranquille Gabrielle de Amin (Philippe Faucon, 2018).

En lui offrant le difficile, antipathique et douloureux personnage de l’épouse qui a choisi le silence dans Un silence, Joachim Lafosse lui a aujourd’hui prouvé sa confiance, et il a eu raison : on ne sort pas indemne de ce film.

Dans un entretien donné au Figaro le 14 janvier dernier, Emmanuelle Devos raconte « J’avais d’abord refusé (le rôle dans Un silence). Je trouvais qu’il s’attachait trop à l’homme du couple et pas assez à son épouse. Or, il y a déjà eu beaucoup de films sur les délinquants sexuels, mais peu qui regardent les victimes collatérales. Joachim a retravaillé l’écriture, et j’ai été conquise par sa vision complexe sur mon personnage qui, en se taisant, se rend complice d’un crime impardonnable. »

Pour toutes ces émotions, pour les doubles-fonds des personnages, pour nous faire douter et nous faire trembler, merci Emmanuelle, et à bientôt.

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