PORTRAIT 8 : ALBERT DELEHAYE, membre de la Commission du choix des films, animateur de soirées thématiques publiques
« Tout le monde allait au cinéma ! Un art populaire unique, à la portée de tous »
Si vous avez participé à quelques unes des soirées organisées par Ciné Cinéma autour d’un thème donné, illustré par un film -par exemple, récemment, Moi, capitaine, de Matteo Garrone- vous l’avez très certainement rencontré.
En effet, il arrive assez souvent qu’Albert anime ces soirées. Il est une des personnes sur lesquelles les salariés de l’association, Jean-Michel et Julia, peuvent s’appuyer pour être relayés dans cette tâche.
La relation au cinéma
Le cinéma a toujours fait partie de la vie d’Albert.
Né dans une famille nombreuse de mineurs du Pas de Calais, il participe dès 6-7 ans aux séances de cinéma organisées dans le café du village de sa grand-mère, chez qui il passe toutes ses vacances. Westerns, comédies… Il se souvient de certains titres : Les lavandières du Portugal (Pierre Gaspard-Huit et Ramón Torrado), Le triporteur (Jacques Pinoteau), Les tortillards (Jean Bastia)…
Tous ces films, grands succès populaires, l’ont nourri, l’ont ouvert à de nouvelles émotions et l’ont fait sortir de son univers.
Lorsque plus tard il découvrira le film de François Truffaut, Les 400 coups, il s’émerveillera : « Mais j’ai vécu ces scènes, oui moi aussi je détachais les photos et affiches des films dans les halls des cinémas de quartier… ». De même il se souvient avoir découpé les critiques de films dans le quotidien de ses parents, pour les coller sur un cahier d’écolier.
Des étoiles dans les yeux, Albert évoque le fantastique succès du cinéma dans les décennies qui ont suivi sa création : « Les chiffres ! Le nombre de spectateurs, et celui des salles, partout ! Tout le monde allait au cinéma. Un art populaire unique, à la porté de tous.»
Cette culture partagée s’efface peu à peu quand la télévision s’installe dans les foyers, jusqu’à ce qu’un pan du cinéma, paradoxalement, devienne élitiste. C’est pourquoi Albert ne se qualifie pas de « cinéphile », un mot qui sent la coterie. « Le cinéma peut toucher chacun, il ne faut pas exclure, mais au contraire proposer à tous. Ce que je préfère, ce sont les oeuvres qui intéressent un large public, du cinéma populaire de qualité, ce que les Américains savent bien faire. A Ciné Cinéma, nous devons élargir le public, sortir de l’entre-soi. Une ambition toutefois compliquée à mettre en oeuvre».
Il estime à cet égard qu’en se réservant certains des films Art et essai qui ont le plus de chances d’attirer le public, le CGR dessert Ciné Cinéma.
Au cinéma, les profils qui l’intéressent sont ceux qui se placent « à côté »: ils prennent le risque de moins plaire, ils sortent des normes, bousculent parfois, expriment des seconds degrés, disposent de plusieurs niveaux de lecture. Ce sont des créateurs, ils inventent, poursuivent une idée, expérimentent… Ou affirment des promesses d’avenir dès leurs premières oeuvres. Albert cite Justine Triet, ou Nakache et Toledano. Idem pour des cinéastes parfois clivants comme Bruno Dumont, Albert Dupontel, Michel Gondry ou Quentin Dupieux. Ils ont l’impérieux désir « d’exprimer » quelque chose, de proposer à autrui, s’il le veut bien.
Alors bien sûr, Albert a des préférences, il opère des choix. Les block busters ou les films d’horreur ne sont pas trop sa tasse de thé… mais il y a des exceptions, et une offre formidable et variée. Martin Scorsese, les Frères Coen, Alejandro Inarritu, les Monty Python… la liste est longue.
En Asie, Parasite, de Bong Joon-ho est un bijou; il y a Ozu, Wong Kar Wai…
Fondamentalement, il n’exclut rien. D’autant que, comme le montrèrent Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, il faut toujours avoir à l’esprit les jugements de classes.
Intéressé par énormément de choses, il aborde toute la production avec curiosité et un infini respect. C’est que fabriquer un film est une entreprise si ambitieuse, qui mobilise tant d’énergie et de talents. Il faut du temps, c’est compliqué, c’est cher…
Ciné Cinéma
Quand, arrivé à la retraite, il s’installe à Périgueux, dans une maison auparavant habitée par ses beaux-parents, Albert, tout naturellement, s’intéresse au cinéma de la ville.
Il constate rapidement que Ciné Cinéma propose une programmation très intéressante; il fréquente les projections, mais aussi les soirées. De spectateur, il devient adhérent, se familiarise avec le fonctionnement de l’association, apprécie le travail de fond de Jean-Michel Hellio, rencontre beaucoup de fidèles, à commencer par le Président d’alors, Roger Roche.
Au cours de la première Assemblée Générale à laquelle il participe, et qui le conforte dans l’idée que l’association est hyper dynamique et touche beaucoup de monde, il prend conscience de son handicap : ne pas avoir le statut d’exploitant.
L’AG se conclut alors par sa candidature – non prévue – à un poste vacant au Conseil d’administration. Il estime que l’opportunité se situe dans le vent de réforme du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, le CNC. Il sait que le CNC cherche à améliorer le système. Des contacts et une expérience professionnelle à Paris et ailleurs le conduisent à vouloir engager des démarches pour présenter les particularités de Ciné Cinéma. Las, la démarche avorte. Il est déçu, peut-être parce qu’il y met trop de passion… “Je fais toujours les choses à fond, trop pressé pour certains », commente-t-il.
L’expérience au CA ne dure pas…Albert démissionne.
Dorénavant, il fera partie de la Commission de Programmation, dans laquelle il se retrouve davantage.
Il s’implique pour présenter et animer des séances thématiques publiques. Il a même proposé de former des animateurs.
Comment procède-t-il ?
Avant tout, une soirée se prépare soigneusement.
Il faut être capable d’apporter quelques éléments sur l’oeuvre, son réalisateur, les acteurs principaux; de mettre en valeur les intervenants et éventuellement les partenaires associés, mais aussi de mener le débat : comment débuter la discussion, relancer l’échange, donner la parole à chacun…
Cela suppose un gros travail en amont, de documentation (film, intervenants, thème) et de contacts. Il est important par exemple d’avoir pu parler avec le ou les intervenants pour bien préciser le contexte et ce qu’on attend d’eux, voir les points qu’il.s désire.nt aborder, mais aussi pour faire connaissance et les mettre à l’aise, et enfin se mettre d’accord sur le timing.
La maîtrise du temps est en effet un des points-clefs de l’animation des soirées : en fonction de la durée du film, du nombre d’intervenants et/ou partenaires, il s’agit de prévoir puis minuter les temps d’intervention avant/après le film.
La soirée peut alors se dérouler : « Mon job, pour Ciné Cinéma, est de parler du réalisateur ou de la réalisatrice en essayant de placer le film à venir dans leur parcours et dans le contexte, parfois d’actualité, du film. Lui-même “prétexte” ou sujet de la soirée. Ensuite je lance la projection pour enfin engager l’échange et le conduire ».
Lors de réunions de la commission de programmation, avec les autres fidèles et bien sûr Jean-Michel Hellio, Albert signale les sorties à retenir, mais aussi aime repérer les films qui, un jour ou l’autre, pourraient être utilisés pour illustrer tel ou tel thème.
Le parcours
A priori destiné à sortir du système scolaire dès le Certificat d’Etudes, Albert est « rattrapé » par une toute nouvelle initiative de l’Education Nationale : l’organisation de tests d’évaluation dans toutes les écoles primaires pour une orientation dans les collèges qui viennent d’être créés. Les tests décelant des qualités à l’élève Albert, il est orienté vers des études classiques qui l’ouvriront aux cultures grecques et romaines. Quelques péripéties plus tard, il entre dans la vie active via un poste aux PTT. Une carrière tranquille pourrait s’ouvrir… mais l’appel de l’aventure est plus fort. Albert part voyager en stop, inspiré par Jack Kérouac, puis entre aux Beaux-Arts, où il se passionne pour les volumes et les formes, la lumière et le mouvement.
Parallèlement, il s’engage dans les « radios libres » et la presse d’information dite alternative. Il est également actif côté cinéma, au sein de différents organismes et organes de presse.
Un tardif DUT de journalisme lui permet de consolider sa position et de placer des piges dans différents journaux (Les Nouvelles Littéraires, L’évènement du jeudi, presse régionale…).
Des collaborations avec des parlementaires impliqués dans les questions de l’énergie et du développement durable, des affaires européennes et étrangères, des questions sociales et culturelles… complètent le parcours de ce passionné qui se considère toujours comme un autodidacte.
Les propos sont tenus sous la responsabilité de leur auteur, et non de l’association.