PORTRAIT 9 : ROGER ROCHE, précédent président de Ciné Cinéma et actuel vice-président

« Il n’y a rien qui me fasse plus plaisir que de m’asseoir dans une salle pour y voir un film »

A Périgueux, il est connu comme le loup blanc, loup dont il arbore une mèche au-dessus du front. On ne présente plus Roger Roche, Président de Ciné Cinéma de 2009 à 2022… Et pourtant, c’est ce à quoi nous allons nous employer, avec son aimable complicité.

Le cinéma

Le cinéma, dit Roger, est avant tout un plaisir, voire même une jouissance, qui remonte à l’enfance.

« Les images sont inscrites dans ma tête » sourit-il en évoquant les trois films qui, enfant, l’ont profondément marqué : Le voleur de bicyclette, de Vittorio de Sica, Le troisième homme, de Carol Reed, et Goupi mains rouges, de Jacques Becker.

Il est petit, 5 ans et demi, il ne comprend pas tout, des éléments lui échappent, mais il pleure et ressent les enjeux. Devant ses yeux, l’injustice sociale, la complexité des relations humaines et de la vie de famille. Même si tout cela ne résonne pas avec sa situation personnelle, l’enfant saisit l’essentiel du message « L’innocence des enfants, je n’y crois pas trop, les enfants comprennent vite ce qui se passe « en-dessous » ».

Lyon est son premier cadre de vie, et plus particulièrement le fabuleux quartier qu’est alors le 6ème arrondissement de la ville. C’est un lieu de brassage social, et pour lui, un terrain de jeu. On vit libres entre copains. Certains, fils de médecins ou de diplomates aisés, disposent d’une collection de « dinky toys » (NdT : véhicules miniatures en métal, pas en plastique), ont ce train électrique qui fait rêver, il y a chez eux un piano, une bibliothèque… Mais le père de Roger l’emmène, lui, à même pas six ans, aux séances de projections gratuites de cinéma organisées par la ville dans la salle des fêtes de la mairie d’arrondissement.

Car oui, Roger est né dans la ville des Frères Lumière, auxquels les lyonnais vouent une grande admiration : s’appuyant sur le travail du génial Edison, les frères inventent le cinématographe et bouleversent nos vies.

Roger avale de manière frénétique tous les films qui déclinent les genres de l’aventure : westerns, films de guerre, de cape et d’épée, péplums. Il aime découvrir les films seul. Après guerre, Hollywood règne en maître. Sur les écrans, les héros sont incarnés par John Wayne, James Stewart, Kirk Douglas Burt Lancaster, Richard Widmark, Anthony Quinn, Gary Cooper, Charlton Heston, Grégory Peck, Errol Flynn, Rock Hudson, tant d’autres… Le cinémascope façonne également des seconds couteaux : Walter Brennan, Richard Egan, Ward Bond, Jeffrey Hunter… Ces grandes figures en technicolor sont, dans des fictions très masculines accompagnés de Rhonda Flemming, Joann Crawford, Jean Simmons, Deborah Kerr, Bette Davies… « J’ai vu tout le cinéma des années 50 ! » commente-t-il.

Après « les amis américains » (dixit Tavernier), adolescent attendant Godard, Roger dévore les Bergman, lesquels sont présentés, analysés, disséqués par une constellation de passionnés.

L’échange, la confrontation des idées, font partie du plaisir. Le dimanche matin, Roger fréquente le Ciné Club du Tivoli tenu par Bernard Chardère. Impliqué dans l’aventure des Ciné Clubs, il fondera plus tard la revue Positif et créera l’Institut Lumière, ensuite présidé par un autre lyonnais, Bertrand Tavernier.

Le cinéma, concrètement, devant les participants, se fait 7ème art. Le regard acéré de Bertrand Tavernier en fait également un outil pour découvrir et comprendre le monde.

Ces grands noms font toucher du doigt à quel point Lyon fut un bouillonnant chaudron dans lequel se concoctait l’amour du cinéma. 

Encore un ciné-club, celui du lycée, et cette fois ce sont les œuvres d’Orson Welles qui défilent devant les yeux curieux de Roger. 

Puis c’est son tour de créer un ciné-club, à 21 ans, en tant que Président d’une Maison des Jeunes et de la Culture. Les objectifs sont énoncés : faciliter l’accès à la culture et à son pouvoir émancipateur pour tous. Un véritable service public.

C’est donc ainsi que se forment les convictions et les goûts de Roger : le cinéma, ça se partage, dans une salle, et les échanges post séance sont les bienvenus ; le cinéma culturel apporte des outils d’autonomie qui aideront chacun à trouver sa place de citoyen dans la société.

Aujourd’hui, Roger se veut « éclectique, mais au sein du cinéma culturel quand même ». Il y a des films qu’il ne voit pas, ne souhaite pas voir (« pourquoi contribuer à leur succès ? »), comme les comédies dites « françaises » ou « franchouillardes » et les blockbusters.

Récemment, il a beaucoup aimé La zone d’intérêt, de Jonathan Glazer, et apprécié le personnage féminin imaginé par Justine Triet dans Anatomie d’une chute.

La rencontre de Ciné Cinéma

Transfuge de classe ayant fait des rencontres décisives, Roger a fait architecture à Lyon aux Beaux Arts et chez les « archis » chez qui « on faisait la place ». Le Crépauc (Centre régional d’études pour la construction, l’urbanisme et la construction) apportera des complément sur la RDM (résistance des matériaux) et la RO (recherche opérationnelle). Toute sa vie, Roger restera architecte, d’abord à Lyon, puis à Périgueux, en tant que salarié dans différentes agences.

A son arrivée à Périgueux, il est très investi dans son travail et dans son rôle de père célibataire, qui lui laissent assez peu de temps pour le cinéma. 

Ciné Cinéma voit le jour en 1988, créé par des enseignants qui y voient d’abord un outil pédagogique.

Intéressé par les projections et par l’animation socioculturelle, connaissant pas mal de monde dans ce milieu, Roger suit avec intérêt les premières années de l’association, il en est un « ardent supporter ».

Lorsque vient l’âge de la retraite, il renforce sa présence, et en 2008 devient vice-président, puis très vite (2009), président. 

Que fait un président ?

De l’avis de Roger, son premier rôle est d’insuffler une ligne de conduite, qui s’inscrive dans l’existant et qui réponde aux statuts, mais qui développe surtout une pensée obsessionnelle du développement car « qui n’avance pas recule »

Il faut préciser qu’en 2009, l’association sortait d’une très grave crise, qui avait abouti à une scission en 2005. 

La construction du multiplexe cinématographique que nous connaissons actuellement avait entraîné le refus d’un cinéma concurrent de la part de Cap Cinéma (CGR n’a procédé au rachat qu’en décembre 2017), et la proposition subséquente d’une convention entre Cap Cinéma et Ciné Cinéma, prévoyant la projection des films choisis par l’association dans les nouveaux locaux de l’exploitant. Or une partie des membres du Conseil d’Administration de Ciné Cinéma, dont la présidente « historique », n’envisageait pas d’accepter ces conditions. Le maire de l’époque avait promis la mise en place d’un cinéma art et essai aux lieux et place de l’ancien complexe Montaigne (Marignan) libéré. Mais cet engagement verbal n’a pas été respecté.

« J’ai dit oui à la présidence en 2019 par pragmatisme réaliste » explique Roger Roche, pour qui il était essentiel de préserver l’existence d’un cinéma d’art et essai à Périgueux. 

Il va donc calmer le jeu, asseoir le nouveau conseil d’administration sur des bases clairement réaffirmées, avec trois objectifs essentiels et continuellement poursuivis : développer le nombre de membres de l’association, élargir les publics et augmenter le nombre des spectateurs de sa programmation, accroitre l’extension du champ des domaines de l’éducation aux images.

La nécessité de se professionnaliser lui apparait clairement : le bénévolat a atteint ses limites, il faut une personne qualifiée à même de nourrir et d’imposer les programmations et les actions. 

Ce qui suppose de se donner les moyens d’assurer le salaire (puis les salaires) des salariés compétents.

Jean-Michel Hellio, venait d’être embauché à mi-temps, il passe à temps plein. Plus tard, Julia Caron viendra le rejoindre.

Un gros travail pour l’instauration de partenariats avec les institutions, de création de liens avec le tissu associatif, peut commencer.

L’association remplissant des missions de quasi service public, il importait enfin d’intégrer la municipalité dans la boucle. 

Une importante réussite des récentes années, dans cette ligne, est d’être parvenu à impliquer la mairie, au sein d’une convention aujourd’hui tripartite et au travers de l’engagement de l’équipe municipale, dans la démarche active entreprise pour imaginer des réponses réalistes aux désirs, aux besoins et aux nécessités de développement de l’association d’art et essai à Périgueux. L’art et essai à Périgueux c’est Ciné Cinéma.

Roger espère que la présidence de Marc Bécret verra la concrétisation des efforts entrepris, au travers d’un lieu indépendant pour le cinéma d’art et essai.

Il explique :

« L’avenir de Ciné Cinéma est intiment lié à la possession de son lieu d’existence, qui lui procurera la carte d’exploitant commercial, et ainsi, la reconnaissance de ses actions d’intérêt général. Ce projet n’a rien d’utopique.

L’exploitation cinématographique repose sur le principe du partage des recettes. La construction ou l’implantation d’un établissement est finançable à 80% par le jeu des aides et des diverses subventions exogènes, le reste à charge de la collectivité locale. Les spectateurs continuent et continueront à venir en nombre, faisons-leur confiance. Les gens souhaiteront toujours sortir de chez eux, goûter à l’expérience commune et magique du cinéma offertes par les salles : de plus grands écrans, un son impressionnant, des sièges confortables… 

Si on y ajoute le fumet envoûtant et convivial d’une cafétéria associative… Ciné Cinéma restera assurément indispensable à nos vies de cinéphiles ».

Les propos sont tenus sous la responsabilité de leur auteur, et non de l’association.

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